À Montmartre, tout le monde connaît la basilique du Sacré-Cœur, son flot ininterrompu de visiteurs et sa vue à couper le souffle sur Paris. Mais peu savent qu’au pied du campanile, au 34 rue du Chevalier-de-la-Barre, se trouve le Carmel de Montmartre, un lieu discret et caché, dernier carmel de Paris, où vit une petite communauté de moniales de l’Église catholique.
Une présence religieuse historique
La présence de religieuses sur la Butte ne date pas d’hier. Ainsi, dès 1134, les bénédictines de Saint-Pierre de Reims y fondèrent l’Abbaye aux Dames. La rue et la place des Abbesses rappellent encore aujourd’hui leur ancrage dans le quartier. Huit siècles plus tard, au moment de l’achèvement du Sacré-Cœur vers 1911, l’archevêque de Paris, ancien évêque de Lisieux, pressent que la basilique deviendra un haut lieu de tourisme et de dévotion. Il souhaite alors rétablir l’équilibre avec une « basilique invisible » et sollicite les carmélites de Paray-le-Monial, donnant naissance au projet du Carmel de Montmartre.
La Première Guerre mondiale retarde la construction du monastère mais la ferveur religieuse qu’elle suscite facilite les choses : petit à petit, le terrain est acquis, le mur d’enceinte construit en 1920, et la première messe est célébrée le 6 juillet 1928. Construit de bric et de broc, faute de moyens, le bâtiment principal reflète encore aujourd’hui l’histoire du monastère : une première partie en pierres issues des mêmes carrières que la basilique à la demande des monuments historiques de l’époque « qui a quasiment ruiné la communauté », puis des briques, d’autres de moindre qualité, puis de la fausse pierre, ce que l’on voit encore très bien en regardant la façade.
Une vie de silence et de prières
Le terrain d’un peu moins d’un hectare n’a jamais permis la construction d’un cloître complet. Les sœurs rêvaient d’une église, elles auront une simple chapelle « provisoire », qui le restera. Aujourd’hui, seize religieuses vivent au Carmel de Montmartre, âgées de 28 à 92 ans. Fidèles à l’esprit de sainte Thérèse d’Avila, elles mènent une vie rythmée par la prière, le silence, le travail et la vie fraternelle.
Leur journée commence à 6 h par la prière silencieuse, ponctuée ensuite par les offices liturgiques : laudes, petites heures, vêpres, complies. La messe est célébrée par les chapelains du Sacré-Cœur en semaine, et par des prêtres enseignants le dimanche. Chaque soeur consacre en plus deux heures, matin et soir, à l’oraison silencieuse. Le couvre-feu tombe vers 22 h 30, après l’office des lectures.
Les repas, souvent sans viande (elles n’en achètent pas) et issus du potager, se prennent en silence, accompagnés de lectures. Seuls le dimanche et les jours de fête font exception, avec de la musique, pas nécessairement religieuse. Les soeurs partagent aussi deux temps de rencontres fraternelles chaque jour, à midi et le soir.
Travail manuel et indépendance
Les carmélites vivent de peu et ne cherchent pas le confort. Le potager fournit fruits et légumes, héritage des sœurs bretonnes qui, après la Seconde Guerre mondiale, avaient lancé cultures et élevage de poules (on en comptait une centaine !). La grippe aviaire a mis fin à cet élevage, mais il y a une vingtaine d’années, on pouvait encore aller acheter des oeufs rue du Chevalier de la Barre.
Le carmel fonctionne grâce aux dons et aux héritages, le reste provenant de l’artisanat : icônes, chapelets, bougies, scapulaires, cartes ou poteries. Une sœur traduit même des ouvrages de la philosophe Edith Stein. Les produits se vendent sur place, à la paroisse Saint-Pierre ou en ligne via des plateformes monastiques. Les revenus couvrent les besoins essentiels, mais les travaux d’entretien reposent exclusivement sur la générosité extérieure, sachant que les religieuses n’ont pas le droit de recevoir de dons trop importants car elles ne peuvent pas délivrer de reçu fiscal.
Autonome, chaque monastère fait sa propre loi, en lien, mais sans dépendance stricte du Vatican. Seul le pape peut interdire quelque chose ! La prieure, élue tous les trois ans, veille à l’équilibre de la communauté. La vie de carmélite est exigeante : ascèse, jeûne monastique, et le travail se fait dans la solitude et le silence. « Avant, les gens pensaient qu’on était planquées. Depuis le confinement, beaucoup comprennent mieux ce que veut dire la clôture : rester des décennies dans un même lieu avec des personnes qu’on n’a pas choisies, ce n’est pas si simple ! » confie la prieure. En général, quand on rentre au carmel, on sait aussi qu’on va y mourir. Normalement, il faut avoir plus de 18 ans en revêtant l’habit, et pas plus de 40 ans. Mais encore une fois, tous les monastères n’ont pas les mêmes règles. Pour autant, les départs restent possibles : « Il faut être vraiment motivé. Si on n’y croit plus, ça ne sert à rien de rester. »
Un lieu ouvert malgré la clôture
Cloîtrées, les sœurs ne sont cependant pas coupées du monde. Elles ont même le droit, et le devoir, de sortir pour voter. Elles suivent l’actualité par les journaux et les revues catholiques, et la prieure consulte même internet. Elles ont également droit à une visite par mois, et si une sœur a besoin de sortir pour raison médicale ou pour se former, c’est la prieure qui décide.
Par ailleurs, la chapelle et l’accueil sont ouverts au public tous les jours de 7 h 15 à 12 h 15 et de 13 h 30 à 18 h 15. Lieu discret et silencieux, le carmel offre un contraste saisissant avec l’agitation du Sacré Coeur voisin. À Montmartre, il demeure un sanctuaire caché, où la prière ne cesse jamais ; cette fameuse basilique invisible, nichée dans l’ombre de l’autre, mais tout aussi vivante.
Carmel de Montmartre – 34 rue du Chevalier de la Barre, Paris 18







